Le refus de Charles de Gaulle des participations aux commémorations du Débarquement du 6 Juin

« Les Français sont déjà trop portés à croire qu’ils peuvent dormir tranquille, qu’ils n’ont qu’à s’en remettre à d’autres du soin de défendre leur indépendance ! Il ne faut pas les encourager dans cette confiance naïve, qu’ils paient ensuite par des ruines et par des massacres ! Il faut les encourager à compter sur eux-mêmes ! »

Charles de Gaulle.

L’histoire est souvent façonnée par des moments symboliques, des dates qui restent gravées dans la mémoire collective. Le débarquement des forces alliées en Normandie le 6 juin 1944, connu sous le nom de Jour J ou DDAY, est l’un de ces événements emblématiques de la Seconde Guerre Mondiale. Pourtant, un homme, Charles de Gaulle, refuse catégoriquement de le commémorer. Pourquoi un leader aussi emblématique de la France libre, Président de la République française, a-t-il choisi de rejeter cet événement historique majeur ? Cette question soulève des réflexions profondes sur les relations internationales, la Souveraineté Nationale et la mémoire collective.

Dans cet article, nous explorerons les motifs et les raisons qui ont poussé Charles de Gaulle à s’opposer à la commémoration du débarquement du 6 juin 1944. En nous appuyant sur des témoignages, des analyses historiques et des documents d’archives, nous plongerons dans les rancunes personnelles et nationales de de Gaulle, son engagement en faveur de la Souveraineté française, ainsi que sa vision particulière de la libération de la France. Nous examinerons également comment les pertes civiles françaises, souvent négligées dans la mémoire collective, ont influencé la position de de Gaulle et ont contribué à façonner son refus de la commémoration. En examinant en détail les différents éléments qui ont façonné sa position, nous pourrons mieux comprendre les enjeux sous-jacents à ce refus et en tirer des enseignements sur la complexité des relations internationales et la construction de la mémoire historique.

Charles de Gaulle, dans son refus de commémorer le débarquement du 6 juin, soulignait l’importance de reconnaître le courage des civils français, un aspect souvent négligé dans la mémoire collective. Cela représente l’une des raisons fondamentales de son opposition, comme exposé dans un précédent article paru le 6 juin 2024.

« Et vous voudriez que j’aille commémorer leur débarquement, alors qu’il était le prélude à une seconde occupation du pays ? Non, non, ne comptez pas sur moi ! Je veux bien que les choses se passent gracieusement, mais ma place n’est pas là ! »

I. Le Contexte du Refus

Charles de Gaulle, le leader emblématique de la France libre, a toujours refusé de commémorer le débarquement de Normandie du 6 juin 1944. Cette décision n’était pas prise à la légère et reposait sur des raisons profondes, qu’il a explicité notamment à Alain Peyrefitte, en 1963 et 1964.

« Le débarquement du 6 juin, ça a été l’affaire des Anglo-Saxons, d’où la France a été exclue. Ils étaient bien décidés à s’installer en France comme en territoire ennemi ! Comme ils venaient de le faire en Italie et comme ils s’apprêtaient à le faire en Allemagne! »

II. Les rancunes personnelles et nationales

La convocation de Churchill

De Gaulle nourrissait une profonde rancune envers les Alliés, en particulier Winston Churchill. Le 4 juin 1944, de Gaulle fut convoqué par Churchill à Londres, dans un train où le Premier ministre britannique avait établi son quartier général. Churchill lui annonça le débarquement sans avoir prévu aucune unité française pour y participer. Cet affront symbolique et personnel marqua durablement de Gaulle, qui se sentit traité comme un subordonné, un maître d’hôtel convoqué par son châtelain.

La préférence américaine

Churchill n’hésita pas à exprimer sa préférence pour les Américains sur les Français, déclarant : « Quand nous aurons à choisir entre les Français et les Américains, nous préférerons toujours les Américains ! » Cette déclaration renforça chez de Gaulle l’idée que le débarquement était avant tout une affaire anglo-saxonne dont la France était exclue malgré son action et celle du Général Leclerc.

III. La Souveraineté française et l’AMGOT

Le projet AMGOT

De Gaulle était outré par le plan AMGOT (Allied Military Government for Occupied Territories), un projet américain visant à administrer temporairement la France libérée. Le plan incluait l’introduction de billets de banque, appelés « billets drapeaux », fabriqués aux États-Unis et destinés à remplacer les billets français émis sous l’Occupation. De Gaulle dénonça cette monnaie comme étant de la fausse monnaie et réussit à interdire sa circulation dès le 27 juin 1944.

« Ils avaient préparé leur AMGOT qui devait gouverner souverainement la France à mesure de l’avance de leurs armées. Ils avaient imprimé leur fausse monnaie, qui aurait eu cours forcé. Ils se seraient conduits en pays conquis. »

L’opposition des autorités françaises

Pour contrecarrer l’AMGOT, de Gaulle imposa ses propres commissaires de la République, préfets et comités de libération, assurant ainsi que l’administration française serait restaurée par des Français et non par les Alliés.

« C’est exactement ce qui se serait passé si je n’avais pas imposé, oui imposé, mes commissaires de la République, mes préfets, mes sous-préfets, mes comités de libération ! »

IV. La vision de la Libération française

La contribution française

De Gaulle refusait de commémorer le débarquement de Normandie car il estimait que cela minimiserait la contribution de la Résistance française et des forces françaises libres à la libération de la France. Il craignait que la commémoration ne renforce l’idée que la libération de la France était due exclusivement aux efforts américains et britanniques, occultant le rôle crucial joué par les Français eux-mêmes.

« Et je commémorerai la libération de Paris, puis celle de Strasbourg, puisque ce sont des prouesses françaises, puisque les Français de l’intérieur et de l’extérieur s’y sont unis, autour de leur drapeau, de leurs rimes, de leur patrie ! Mais m’associer à la commémoration d’un jour où on demandait aux Français de s’abandonner à d’autres qu’à eux-mêmes, non ! »

Le débarquement de Provence

En revanche, de Gaulle était prêt à commémorer d’autres événements où les forces françaises avaient joué un rôle prépondérant, comme le débarquement de Provence le 15 août 1944, la libération de Paris et celle de Strasbourg. Ces événements symbolisaient pour lui l’union des Français de l’intérieur et de l’extérieur autour de leur drapeau et de leur patrie.

« En revanche, ma place sera au mont Faron le 15 août, puisque les troupes françaises ont été prépondérantes dans le débarquement en Provence, que notre première armée y a été associée dès la première minute, que sa remontée fulgurante par la vallée du Rhône a obligé les Allemands à évacuer tout le midi et tout le Massif central sous la pression de la Résistance. »

V. Le Débarquement et la stratégie Anglo-Américaine

La Stratégie des Alliés

De Gaulle critiquait la stratégie des Alliés, qui, selon lui, ne visait pas à libérer la France mais à atteindre des objectifs militaires précis comme la Ruhr. Il affirmait : « Vous croyez que les Américains et les Anglais ont débarqué en Normandie pour nous faire plaisir ? Ce qu’ils voulaient, c’était glisser vers le nord le long de la mer, pour détruire les bases des V1 et des V2, prendre Anvers et, de là, donner l’assaut à l’Allemagne. »

L’insurrection parisienne

De Gaulle soulignait que les Américains ne prévoyaient pas initialement de libérer Paris rapidement. Il ordonna à Leclerc de foncer sur Paris pour soutenir l’insurrection parisienne, évitant ainsi à la capitale le sort de Varsovie. Cette initiative força les Alliés à changer de stratégie, démontrant que la libération de Paris était avant tout une victoire française.

« Le peuple de Paris s’est soulevé spontanément et il aurait été probablement écrasé sous les décombres, comme le peuple de Varsovie, s’il n’avait pas été soutenu. Mais il y avait des hommes qui, trois ans plus tôt, à Koufra, s’étaient juré de libérer Paris, puis Strasbourg. Ce sont eux qui ont libéré Paris avec son peuple. »

NOTE : Leclerc et sa colonne, qui venaient du Tchad pour rejoindre la Tunisie en guerroyant, avaient fait, dans l’oasis de Koufra, le serment de ne pas déposer les armes avant d’avoir libéré Paris et Strasbourg.

La comparaison avec la Pologne

De Gaulle comparait la situation de la France à celle de la Pologne, arguant que les Américains se souciaient autant de libérer la France que les Russes de libérer la Pologne. Les Alliés cherchaient avant tout à minimiser leurs pertes et à atteindre leurs objectifs stratégiques, laissant de côté les considérations sur la souveraineté et l’honneur des nations occupées.

Conclusion

Charles de Gaulle refusait de commémorer le débarquement de Normandie pour des raisons profondes et multiples. Sa rancune personnelle envers Churchill, son rejet du plan AMGOT, et sa volonté de souligner l’importance de la contribution française à sa propre libération furent les raisons principales de ce refus. En choisissant de commémorer d’autres événements où les Français avaient été les principaux acteurs, de Gaulle réaffirmait l’importance de la Souveraineté et de l’indépendance nationale. Pour lui, la commémoration du 6 juin aurait été une reconnaissance implicite d’une libération imposée et non acquise par les Français eux-mêmes.

Pierre d’Herbais.

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